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Daniel Reuter, Oversees

 

Le travail photographique que Daniel Reuter développe depuis une dizaine d’années aborde les notions de paysage, d’espace et de lieu dans leur relation au récit, au regard et à l’expérience subjective. Sa production s’édifie par séries et se caractérise par l’attention qu’il porte à l’interaction entre les images, à leur montage, tant dans ses accrochages qu’au sein de ses publications. Cette première exposition personnelle de Daniel Reuter au Luxembourg fait dialoguer deux ensembles photographiques produits durant la dernière décennie. Son titre, Oversees, évoque un regard rétrospectif porté sur ces œuvres, mais aussi un endroit lointain. Les deux séries, History of the Visit (2012-2013) et Beachhead (2017-2018), sont en effet reliées par un même contexte géographique, l’Islande, où l’artiste s’est installé peu de temps avant qu’il ne réalise la première d’entre elles.

 

History of the Visit, dont onze tirages d’un ensemble de trente-six sont ici présentés, se compose d’images prises à différents endroits de l’île, au cours d’excursions quotidiennes que le photographe décrit comme des « exercices de solitude ». Loin de véhiculer l’imaginaire visuel que l’on associe généralement à l’Islande, la séquence d’images résulte de la recherche d’une forme d’abstraction dans le réel, que celle-ci se manifeste dans des fragments de l’environnement naturel ou dans des motifs aux formes épurées. Les tirages se distinguent par des contrastes faibles et des tonalités restreintes, qui leur confèrent une densité visuelle et une charge émotionnelle singulières. Ensemble, ils esquissent les contours évanescents d’un paysage introspectif. « Non pas un endroit géographique concret, mais plutôt une zone personnelle, imaginée[1] », indique Daniel Reuter. Le titre de la série, emprunté au roman de science-fiction qui inspira à Andreï Tarkovski son film Stalker (1979)[2], invite à donner au terme de « zone » qu’emploie l’artiste un sens spécifique : celui d’un espace allégorique, hors du temps, régi par d’autres lois que celles qui gouvernent le réel tel que nous le connaissons. La zone est, selon les mots Tarkovski, « exactement comme nous l’avons créée nous-mêmes, comme notre état d’âme ».

 

Une conception différente de l’espace et du récit a guidé Daniel Reuter dans la réalisation de Beachhead. Là où History of the Visit résultait d’une forme de quête, d’errance, ce second ensemble possède un cadre géographique circonscrit : une étendue de la côte islandaise d’environ cinq cents mètres de long, située à une trentaine de kilomètres au nord de Reykjavik, dans une partie de l’île connue pour la force des vents qui la balaient, nommée Kjalarnes. Daniel Reuter a notamment été attiré par les changements radicaux que peut y subir le paysage dans des laps de temps très courts, en fonction de la météo, des marées et de la puissance des éléments. Les dix-huit photographies qui composent la série – pour la plupart de petits formats, qui renforcent la précision des images – se concentrent sur les « textures » de ce paysage : les matières, les surfaces, les reflets, les luisances ou les aspérités, qu’il s’agisse de l’eau, de galets, d’algues, du ciel ou de matériaux amenés par l’homme et altérés par l’âpreté du climat. La ligne d’horizon est le plus souvent repoussée hors du cadre, privant le regard d’un point de repère rassurant. Beachhead s’apparente à un relevé à la fois topographique et subjectif de cette étendue côtière, tout en y faisait émerger un climat chargé, incertain, propice au travail de l’imaginaire. C’est ici Jorge Luis Borges, celui du Livre des êtres imaginaires, que convoque Daniel Reuter : « Nous ignorons le sens du dragon, comme nous ignorons le sens de l’univers, mais il y a dans son image quelque chose qui s’accorde avec l’imagination des hommes[3]. », inscrit-il en exergue de sa série.

 

Dans l’exposition, une dernière photographie apporte un contrepoint discret à ces deux séries islandaises. Dépeignant un paysage qui rappelle ceux d’History of the Visit et de Beachhead, elle résulte pourtant d’une tout autre trajectoire géographique, puisqu’elle a été prise au Chili, lors du premier séjour que Daniel Reuter a effectué dans ce pays où s’est concentrée la majeure partie de son travail de ces dernières années[4]. Ce paysage est le désert de l’Atacama, situé au nord du pays, et le récit qui le sous-tend n’est autre que celui de l’histoire politique du pays. Comme en témoigne la pancarte indiquant « No pasar » que le spectateur attentif pourra distinguer perdue dans cette immensité, le sol de ce paysage désertique est en effet parsemé de mines antipersonnel, vestiges funestes et invisibles de la dictature de Pinochet. La densité visuelle des photographies de Daniel Reuter entre en résonance avec la densité des récits qui affleurent à leur surface, qu’ils soient personnels, historiques ou imaginaires.

 

Christophe Gallois



[1] Daniel Reuter, History of the Visit, MFA Thesis, University of Hartford, 2013.

[2] Le titre History of the Visit est mentionné dans les premières pages du roman Roadside Picnic d’Arcadi et Boris Strougatski, dont est tiré Stalker.

[3] Jorge Luis Borges, Le Livre des êtres imaginaires, Paris, Gallimard, 1987, p. 11, citation mise en exergue sur la page du site internet de l’artiste (www.danielreuter.net) consacrée Beachhead

[4] C’est au Chili que Daniel Reuter a développé la série Providencia, qui sera présentée aux Rencontres d’Arles à l’été 2021, dans le cadre de Lët’z Arles, et qui a donné lieu à la publication de l’ouvrage Providencia (Skinnerboox, 2020).

 

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Daniel Reuter, Oversees

 

The photographic work that Daniel Reuter has been developing over the past ten years explores concepts of landscape, space and place in their relationship to narrative, the gaze and subjective experience. Building up in series, his body of work is characterised by the particular attention he pays to the interaction between and montage of images, which he applies to his exhibitions and publications alike. Reuter’s first solo exhibition in Luxembourg brings together two photographic series produced over the last decade. Its title, Oversees, suggests a retrospective take on the works on display, while simultaneously evoking a faraway place. As a matter of fact, History of the Visit (2012–13) and Beachhead (2017–18) share the same geographical context, namely, Iceland, where the artist settled shortly before he set out to create the first of the two series.

 

History of the Visit, a sequence of thirty-six prints, of which eleven are shown here, consists of images taken at different places on the island, as part of daily excursions the photographer describes as ‘exercises in solitude’. Far from conveying the visual impressions that one generally associates with Iceland, it is the result of a search for a kind of abstraction in reality that manifests itself through fragments of the natural environment or rudimentary, manmade objects. The prints are characterised by low contrast and restrained tones, lending them a unique visual density and emotional charge. Together, they outline the evanescent contours of an introspective landscape – ‘not a concrete geographic location, but rather a personal, imagined zone’, as the artist explains.[1] The title of the series is borrowed from the science-fiction novel that inspired Andrei Tarkovsky’s film Stalker (1979)[2] and invites us to attribute a specific meaning to the term ‘zone’, as used by the artist – that of an allegorical space, out of time, ruled by laws other than those that govern reality as we know it. The zone is, in Tarkovsky’s words, ‘exactly as we created it ourselves, as our state of mind’.

 

A different formulation of space and narrative guided Reuter in the making of Beachhead. While History of the Visit derives from a quest or errancy, this second series unfolds within the limited perimeter of a nearly five-hundred-metre-long expanse of coastline some thirty kilometres north of Reykjavik, in Kjalarnes, a part of Iceland known for its strong winds. Reuter was particularly attracted to the dramatic changes the landscape can undergo there in very short periods of time, depending on the weather, the tides and the force of the natural elements. The eighteen photographs that make up the series – mostly small formats, which emphasizes the sharpness of the images – focus on the ‘textures’ of the landscape: the materials, surfaces and reflections, the glistening or rough patches, whether from the water, the pebbles, the algae, the sky or the materials brought there by man and altered by the harshness of the climate. In most shots, the horizon line is pushed out of the frame, depriving the eye of a reassuring landmark. Beachhead can be likened to a simultaneously topographical and subjective survey of this stretch of coastline, while revealing a harsh, uncertain climate conducive to the work of the imagination. It is Jorge Luis Borges and his Book of Imaginary Beings that the artist conjures up here: ‘We are as ignorant of the meaning of the dragon as we are ignorant of the meaning of the universe, but there is something in the dragon’s image that appeals to the human’, reads the epigraph introducing his series.[3]

 

In the exhibition, a final photograph offers a subtle counterpoint to these two Icelandic cycles. Although it depicts a landscape reminiscent of those in History of the Visit and Beachhead, it was actually born out of a completely different geographical trajectory, as it was taken in Chile, during the artist’s first stay in the country where most of his work in recent years has concentrated.[4]The landscape is the Atacama Desert, in the north of the country, and the narrative underpinning it ties in with the country’s political history. As evidenced by the sign indicating ‘No pasar’, which attentive viewers will have made out in the vast expanse, the desert is strewn with anti-personnel mines, the deadly and invisible vestiges of Pinochet’s dictatorship. The visual density of Reuter’s photographs resonates with the density of the stories that lurk beneath their surface, whether personal, historical or imaginary.

Christophe Gallois
 


[1]  Daniel Reuter, History of the Visit, MFA thesis, University of Hartford, 2013.

[2] The title History of the Visit is mentioned on the first pages of the novel Roadside Picnic by Arcady and Boris Strugatsky, on which Tarkovsky’s film is based.

[3] Jorge Luis Borges, ‘Preface’, The Book of Imaginary Beings [1957] (London: Penguin, 2006), 14. The quote appears on the page dedicated to Beachhead on the artist’s website (www.danielreuter.net)

[4] It was in Chile that Reuter developed the series Providencia, which will be presented in the framework of Lët’z Arles during the Rencontres d’Arles in summer 2021, and which gave rise to the publication of the same name (Skinnerboox, 2020).

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Exposition organisée à l'occasion de la 8e édition du Mois Européen de la Photographie Luxembourg | Exhibition organised on the occasion of the 8th edition of the European Month of Photography Luxembourg.

 

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