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Pour sa première exposition personnelle à la Galerie Nosbaum & Reding, Christian Frantzen (né en 1975 à Luxembourg) présente une nouvelle série de peintures, intitulée Fight or Flight (comme le titre de son expo), de petit format, qui traite de l’ennui et de ses remèdes en mettant en évidence des motifs d’une société hédoniste à la recherche de divertissements. Le public aura aussi l’occasion de découvrir de nouvelles peintures montrant des vues urbaines, souvent saturées de signalétique publicitaire, pour lesquelles Christian Frantzen est particulièrement connu. Des toiles de l’artiste furent déjà présentées en 2008 à la galerie dans l’exposition de groupe Mixed Season qui réunissait quelques autres jeunes artistes luxembourgeois. Son travail fut aussi montré la même année au Mudam Luxembourg lors de la grande exposition Elo: Inner Exile - Outer Limits, consacrée à la scène artistique contemporaine au Luxembourg.

Christian Frantzen, le réel apprivoisé
par Didier Damiani

La peinture de Christian Frantzen se situe au confluent des problématiques liées à l’abstraction et la figuration, à la représentation de la réalité et son reflet imagé choisis dans les sources du virtuel, ainsi qu’à la signification et à l’interprétation de la représentation du motif pictural dans diverses cultures et différents contextes. La peinture de Christian Frantzen est une peinture dont le sens est évolutif et en mouvement, les codes et les signes changent et glissent selon le regard, selon la compréhension et l’origine identitaire de celui qui contribue à faire l’oeuvre.

Esthétique des mégapoles

Les motifs représentés dans les peintures de Frantzen, principalement des mégapoles d’Asie, des plats de nourriture et des natures mortes, sont ainsi préalablement recherchés parmi des images piochées dans l’espace virtuel. Ces images sont des photographies mises en ligne sur Internet par des auteurs inconnus que l’artiste sélectionne selon son intérêt et prend pour modèles pour les « traduire » en peinture. Cette forme de transfert d’un médium à un autre, de la photographie laissée sur Internet vers la peinture, fait de sa pratique une activité résolument contemporaine de parasitage de données publiques dans un cadre voué à la participation sociale régie par le mode de l’échange.
Au sein de la diversité des pratiques artistiques, Frantzen part d’une situation globale qu’est la culture visuelle d’aujourd’hui, choisit des images dont il parasite les codes initiaux et s’intéresse au problème du droit d’auteur et de la copie, dû à l’appropriation de ces images.
Ainsi les sociétés modernes urbaines de Shanghai et de Hong Kong sont représentées de manière paradoxalement répétitive. Elles ne génèrent en rien une répétition car elles sont toutes différentes. Le développement et boom des villes asiatiques constituent un leitmotiv dans la peinture de Frantzen, représentées pour leur gigantisme et leur aptitude à étendre leurs territoires contrairement aux villes européennes empêtrées dans leur histoire, plus lente à se renouveler dans la mondialisation. Et pourtant visiblement, l’architecture de ces nouvelles agglomérations à toute allure font elles aussi leur aller-retour de recherches d’influences copiées ailleurs, dans d’autres cultures dont elles ont besoin pour se construire. Frantzen opère la confrontation et met d’ailleurs en contraste l’Asie avec des peintures de vues urbaines occidentales, du Luxembourg (à partir de photographies de Tim Lecomte). Ainsi le quartier de la Gare et ses voies ferrées aux panneaux sans messages lisibles dont les codes ont été effacés, certaines maisons connues mais difficiles à situer car non représentées dans une vue d’ensemble, des boutiques de marques vestimentaires et des lots de garages dans des arrières cours, des balcons multipliés à saturation sont représentés. L’art de la culture mondialisée, est fait d’hybridation, de métissage et de diversité.

Une peinture concrète

La stylistique technique est figurative et tend vers des moyens concrets, comme avec l’utilisation de la grille moderniste, mais en opposition à l’abstraction pure et simple méprisée pour son manque d’aptitude à se rendre expressive, technique avec laquelle Frantzen avait pourtant débuté la peinture. Le transfert vers la figure et la réalité lui permet d’atteindre ce qui l’intéresse, le message délivré dans ses oeuvres, l’impact doit être immédiat et concret tout comme dans la figuration et le Pop Art. Les grandes façades d’immeubles sont reconnaissables et traitées en all-over sur la toile de grand format, laissant peu de respiration dans la composition, focalisant sur une partie de la structure, en « close-up », un regard différencié, un transfert de point de vue.

L’ordre caché de l’art

La peinture est moderniste, use de perspectives architecturales, de nuances colorées et d’une touche discrète mais reconnaissable. La palette chromatique est réduite, les représentations simplifiées et synthétisées, la finesse et la précision de la peinture sont rendues grâce à l’utilisation de l’huile sur la toile et sur carton afin de garder l’essentiel du réel qu’est la ligne, la couleur et la surface. La représentation de la mégapole asiatique rassemble des formes orthogonales et des messages écrits qui sont souvent en langue étrangère à la culture occidentale et donc libre de toute signification, semblant réduits à de simples symboles graphiques. Christian Frantzen cherche l’ordre caché de l’art (selon l’essai de Anton Ehrenzweig, 1967), pour aller «par-delà la représentation» (Jean-François Lyotard).

Malbouffe et décalages interculturels

La thématique des objets de consommation, référents de plats de nourriture, véritables natures mortes, crée elle aussi des parallèles et des décalages interculturels. De la malbouffe à priori composée de poulet frites, canard à la citrouille ainsi que le fameux hamburger ou les côtes de porc aux brocolis et patates peuvent faire sourire à côté d’un curry en sauce et mayonnaise frites ragoûtant, d’un homard à la sauce aux oignons et du traditionnel plateau d’huîtres. Le mode de représentation de ces natures mortes est apparenté à la peinture flamande de genre du XVIIe siècle incarnée par les maîtres que sont Jan Vermeer, Willem Kalf, Pieter Claesz et Jan Davidszoon de Heem. Le style fait le pont entre un genre baroque et des référents contemporains, ce que Christian Frantzen compare à des « vanités contemporaines, honorant un facteur crucial des inégalités sociales et un traumatisme collectif : obésité et mort, famine et mort aussi bien que la distance régnant entre ces deux peurs. Il n’y a plus besoin d’inclure des symboles mortuaires dans ces vanités, depuis que la nourriture elle-même symbolise de nos jours l’évanescence ».
L’art de Christian Frantzen part ainsi d’une représentation existante, employant la méthode de la retranscription formelle, pour la retransmettre à l’aide du médium pictural et sans y ajouter de mythologies personnelles. En privilégiant la fragmentation de l’image, il offre un point de vue spécifique d’architectures, de vues urbaines globales et de natures mortes. Les villes asiatiques sont reformulées par un oeil occidental, qui les découvre par la surenchère des images, n’y ayant jamais voyagé physiquement. Les natures mortes font de manière ironique, toute la distinction entre l’opulence et le malaise de la société de consommation et le véritable besoin individuel aujourd’hui ainsi que de la différence des pensées et schèmes culturels qui persistent dans la mondialisation, comme, par exemple, entre les traits de l’individualité et de la diversité européennes et ceux d’une forme de standardisation asiatique.


Didier Damiani / 5 mai 2009

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Vernissage le samedi 26 juin à 11h00 en présence de l’artiste

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